2 INVITES AU CAFE LITTERAIRE ,                 samedi 8 novembre, Auditorium 10h30 – 12h30

MOHAMMED EL AMRAOUI

Pour son livre Migration, une histoire de la migration de ces hommes et femmes qui « s’attaquent à la forteresse Europe ». Un long texte en vers, en trois parties : le désert, la mer, les limbes. Un texte de lecture parfois complexe, dans lequel il faut accepter d’entrer et d’avancer lentement ; des vers écrits avec une langue simple, d’une grande beauté, où les mots, qui sonnent juste, jouent entre eux, peut-être pour rendre supportable le désespoir et la sensation d’impuissance qui se dégagent de ces vers. Cette concision du propos renforce ces sentiments, nous laissant seuls avec notre conscience.

Poète et traducteur, né à Fès au Maroc en 1964, Mohammed El Amraoui écrit en français et en arabe. Il se produit dans différents lieux et festivals.

Extrait de la deuxième partie : La mer

pages 57 et 58.

« De l’eau ! dit l’enfant

L’enfant

les lèvres gercées

petites feuilles à nervures creusées

prêtes à tomber

De l’eau ! dit l’enfant

La mère mélange lait et eau de mer

dans le biberon

l’enfant recrache

les lèvres les yeux fanés

la mère le père marmonnent prières

promptes broyées

Il est froid !

La mère resserre la masse éteinte le cou

flétri

C’est la mort, dit quelqu’un

Les yeux des autres tus

les yeux des autres demi-vivants

Il est minuit

Le croissant recourbe sa lame

et fait un croche-pied au destin

dit le père

Ce qui est écrit est écrit

dit quelqu’un

et ça s’écrit avec la lame

dans nos petits cœurs dit le père

et jette le corps

par-dessus bord

L’eau sombre grande gueule de

torrents qui avale

tout

L’enfant tombé

L’ombre restée dans les bras

Juste

la forme d’un bercement – »

 

DALYA DAOUD

 

Cette auteure nous parlera de son premier roman, Challah la Danse, publié aux Editions Le Nouvel Attila.

Elle y décrit, avec beaucoup d’affection, partant de souvenirs largement personnels, la vie dans un lotissement ouvrier d’un village des Monts du Lyonnais, situé à proximité de l’usine de tissage. Cette chronique se déroule de 1983 à 1998, s’attachant au quotidien d’une dizaine de familles, et notamment à celui des jeunes qui vont grandir dans ce lotissement.
Un récit parfois drôle, parfois émouvant.

Avant de se consacrer uniquement à l’écriture, Dalya Daoud a été journaliste, puis rédactrice en chef de Rue89Lyon, site internet d’information locale qu’elle a co-fondé en 2012.

Extrait : Les Bonbons                                                                                          1987, Usine Brocard Frères
[Smaïl, maintenant en invalidité, a travaillé dans cette usine de textiles et vit   au Lotissement avec ses enfants, dont le dernier, Bassou, vient d’étudier au collège La révolte à deux sous, de Bernard Clavel]

pages 79-80

Bassou aurait voulu parler avec Smaïl de son travail à l’usine, lui demander si les étoffes qu’il avait transportées avaient été de la soie, comme chez les canuts, mais il n’osait pas. Il craignait de le blesser ou de l’entendre une fois encore parler de la mort. Bassou but d’un trait son verre de lait froid sans laisser le temps à l’Ovomaltine de s’y dissoudre et Smaïl s’aperçut que son fils le regardait de manière insistante.
Plus tard, il demanda à sa soeur Jihane :
« – Mais le papa, c’était un canut ?
– Qu’est-ce que tu racontes. Les canuts, ça n’existe plus. C’était une autre époque.
– Le papa était quand même pas payé au mètre de tissu ?
– Mais non, imbécile. Tu as cru qu’il était né dans quel siècle ? Il recevait un salaire, j’en sais rien, cinq mille francs par mois, peut-être.
– Mais c’est rien du tout, ça. En fait, ils auraient pu se révolter eux aussi.
– Pour quoi faire ?
– Pour un meilleur salaire, je sais pas.
– Tu les vois, les vieux du Lotissement, taper un zbeul à l’usine ? T’as de ces idées. Qu’est-ce qui te prend, depuis quand l’usine et le travail du papa t’intéressent ? »
  Y en a qui ont été pendus dans le livre, des agitateurs et des grévistes qu’on avait fait taire pour l’exemple, pour que passât chez les autres l’envie de réclamer. S’ils s’étaient révoltés, que leur serait-il arrivé, aux ouvriers Brocard ? Y avaient-ils seulement songé ? Qui aurait noué la corde au cou de Hassan Amrouche ou de Bouzid Fahd parce qu’ils auraient demandé davantage d’argent ? Pour Bassou, la nuque de son père était brisée depuis longtemps. Smaïl n’avait plus mis les pieds dans l’usine depuis plusieurs années mais il en parlait comme s’il lui appartenait encore. Il espérait qu’elle ne l’avait pas oublié.

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