sibérie

      Mais qu’est-ce qu’ils ont avec la Sibérie ?                                Que cherchent-ils à fuir ?

                     

Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson et Tangente vers l’est  de Maylis de Kerangal, deux romans qui croisent leur chemin au lac Baïkal, deux romans sur et vers la Sibérie.

Sylvain Tesson après s’être épuisé à voyager, à grimper aux monuments, à chevaucher des chevaux mongoles, s’arrête enfin, tente de s’arrêter, se défie de s’arrêter.

Il fait l’expérience de la  cabane, à cinquante kilomètres de toute habitation en hiver, sur les bords du lac Baïkal ; il lutte contre la solitude, le froid, la bêtise de ses voisins.

« Dans les forêts de Sibérie est une leçon d’humilité. Qu’est-ce que Sylvain Tesson aura appris durant ses six mois, dans une cabane sibérienne, à cinq heures de marche de la plus proche présence humaine ? [Ce livre] reste un acte de foi en la liberté intérieure. Il ne s’agit plus de partir au bout du monde ; il s’agit de partir au bout de soi. Sylvain Tesson aura appris en une poignée de mois, dans une cabane plantée en Sibérie, à vivre non plus contre lui-même mais avec lui-même. » Marie-Laure Delorme, le JDD, 18/9/11.

La narratrice de Tangente vers l’est fuit un amour impossible, elle prend le transsibérien, elle part droit  vers l’est, elle ne sait pas pourquoi. Elle rencontre un déserteur, lui fuit le service militaire, la cruauté des bizutages, le froid de la Sibérie, la folie de la peur ; elle l’aide à se cacher, elle veut se débarrasser de lui, elle l’aide à nouveau, leur solitude les accroche l’un à l’autre comme des naufragés. Ils passent non loin du lac, tous les Russes sortent leur appareil photo, ils ont peut-être photographié la cabane de Sylvain Tesson. A la fin, à Vladivostok, chacun repartira  vers sa vie.

Tous les deux, Sylvain Tesson et cette narratrice fuient vers les contrées les plus nues, les plus vides d’hommes, seuls lieux assez vides pour qu’ils se retournent sur eux-mêmes pour mieux se retrouver.

Deux livres inoubliables.

TESSON Sylvain, Dans les forêts de Sibérie, Editions Gallimard, NRF, 2011

DE KERANGAL Maylis, Tangente vers l’est, Editions Verticales, 2012

Lecture proposée par le Caveau des Lettres

 

esther livre

Là où les chiens aboient par la queue

               de Estelle-Sarah Bulle

Cette jeune romancière est de père antillais, ce qui explique que la narratrice de ce premier roman est une jeune antillaise née dans les années 70 en métropole  qui recueille les propos de sa tante Antoine.

Cette dernière est née en Guadeloupe dans un tout petit village « là où les chiens aboient par la queue », un trou perdu.  A seize ans,  à la  mort de sa mère, révoltée par l’attitude des siens, elle fuit  à Pointe-à-Pitre où, à force de courage et de débrouillardise, elle crée un commerce, puis à Paris où elle fait de même. La narratrice interroge aussi son propre père et son autre tante.

A travers les récits croisés de ces fortes personnalités et ce dispositif  d’écriture qui leur donne tour à tour la parole, et une parole haute en couleur, en expressions locales, en franc parler, la narratrice nous conte une Guadeloupe riche, complexe et envoûtante.

Elle nous montre comment le souvenir de l’esclavage et des colons est vivant, combien les rites, les interdits sociaux et les croyances dominent les vies et comment les désirs d’évasion des jeunes en pleine quête d’identité les conduisent à fuir l’enfermement de l’île pour aller vers un mirage car, à Paris, leurs vies sont difficiles et douloureuses.

Mais le  récit n’est pas larmoyant, on passe sans cesse de la tragédie au burlesque, de la mélancolie à la gaieté. Et c’est la langue surtout qui enchante, truculente, crue, un français coloré, chahuté, enrichi  à la fois par le rhum, les fêtes  et les  chansons et par le manque d’école, la nonchalance et le désespoir.

BULLE Estelle-Sarah, Là où les chiens aboient par la queue, Liana Levi, 2018

Lecture proposée par le Caveau des Lettres