SMARA, Carnets de route d’un fou du désert
de Michel Vieuchange
En 1930, quand Michel Vieuchange part pour Smara, il s’aventure dans une zone hostile où de nombreuses tribus sont en guerre contre les Français, colonisateurs de l’Algérie et de la Mauritanie. Les militaires français combattent au Sahara occidental et à l’ouest de la Mauritanie contre le chef religieux Sahraoui Ma El Aïnin, qui a construit en 1895 un fortin à Smara jusque-là simple point d’eau et carrefour caravanier et d’où il a lancé un appel à la guerre sainte contre les colonisateurs. Ma El Aïnin meurt en 1910. Mais ses fils continuent la lutte contre les Français. En 1913, une colonne française partie de Mauritanie arrive à Smara et détruit partiellement la ville, qui est abandonnée.
Michel Vieuchange, qui a fait son service militaire au Maroc, connait l’histoire de Smara et rêve d’y aller. Il vient au Maroc en août 1930 avec son frère, Jean, chargé d’assurer les arrières en cas de capture. Le jeudi 11 septembre, il part avec ses guides. Le voyage est très dur, il doit se déguiser en femme ou se cacher dans le couffin en raison des tribus hostiles. Il souffre terriblement des pieds. Enfin le samedi 1er novembre, il arrive à Smara où il ne peut passer que trois heures, compte tenu des dangers environnant qui poussent ses guides à vouloir repartir très vite. Sur le voyage du retour, il attrape une dysenterie. Son frère le récupère fin novembre dans la ville de Tiznit d’où un avion de la Compagnie générale aéropostale les transporte jusqu’à Agadir. Mais la dureté du voyage à travers le désert, les privations et la sévérité de la dysenterie ne permettent pas à Michel Vieuchange de se remettre. Il meurt le 30 novembre au matin.
Son frère a récupéré ses carnets de note qui racontent le périple dans le désert. En 1932, ces carnets sont publiés aux Editions Plon et réédités en 2004 aux Editions Phébus Libretto. Ce livre est un joyau pour qui aime le désert et pour tous ceux qui rêvent d’aventure, de mondes nouveaux, de voyages, de route… A lire absolument !
En voici quelques extraits :
Jeudi 11 septembre.
On part…
Je marche. C’est mon seul but – suivre. Il n’y a plus ni jour ni nuit pour moi. Un seul besoin : atteindre. Je dormirai n’importe où, je souffrirai n’importe quoi.
Samedi 1er novembre. Toussaint !!
Midi un quart : Smara !
… En contrebas, dans un désert sans végétation – et c’est impressionnant, cette terrible nudité -, je n’aperçois, distinguant mal, qu’une cité de mirage…
Trois ou quatre photos.
Un peu plus loin, la ville apparaît toute entière : …
…le Reguibat est déjà près des chameaux. Il fait coucher la grande chamelle, défait les cordes, ouvre le couffin, me presse avec des cris. J’ai encore le temps de tirer ma montre. Il est 3 heures. Sans précaution, sans burnous pour amortir les chocs, on me ficelle dans le couffin.
Je n’ai même pas pu jeter un dernier regard vers la ville.
…Me voici à présent ayant atteint le but… J’ai vu tes deux kasbas et ta mosquée en ruine. Je t’ai vue tout entière posée sur ton socle, face au désert, déserte, dans le silence, sous l’ardent soleil…Trois heures seulement j’ai erré dans tes ruines – chassé aussitôt loin de toi.
…En t’apercevant, et en passant devant le front que tu offres au soleil couchant, levant vers toi mes yeux sans m’arrêter …en homme qui simplement veut voir, je sentis une brusque chaleur dans ma poitrine, un mouvement de mon cœur…
Michel Vieuchange, Smara, Editions Libretto, 2013
Lecture proposée par Collectif Vents du Monde.